J’adore la plaisance …

Croisière dans le Trégor du 11 au 17 mai 2013

par Jean-Paul Lamy

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L’auteur est un vieux monsieur, un vieux râleur,
sachez lui pardonner…

Vendredi 10 mai

Le ciel gris est bas, le joli mois de mai se fait désirer. Nous roulons en direction des Côtes d’Armor, plus précisément vers la côte de granite rose, un petit paradis pour les amateurs de voile comme nous. Depuis des heures, la voiture file vers l’ouest, nous sommes bercés par le discret ronronnement du moteur et le chuintement des pneus sur l’asphalte. Saint-Brieuc approche et dès Yffiniac, nous scrutons l’horizon. Quel sera celui d’entre nous qui verra la mer en premier ?

Peu de temps après, nous atteignons le port de Saint-Quay-Portrieux, baigné par un timide rayon de soleil printanier. Nous retrouvons les autres marins du club déjà arrivés. Nos voiliers se trouvent tout là-bas, à l’extrémité du port, avec les autres bateaux de location. Nous reconnaissons bien là le sens de l’accueil développé à l’extrême de la plupart des ports de France, on repousse les plaisanciers au plus loin, tels des parias, pour laisser les bonnes places à des bateaux qui ne sortent pratiquement jamais. Loin de tout, nos équipiers doivent être particulièrement motivés pour atteindre les toilettes dans un délai compatible avec des urgences bien compréhensibles...

J’adore la plaisance…

Samedi 11 mai

Le ciel est toujours aussi bas, toujours aussi gris et comme le dit si bien Olivier de Kersauzon : en Bretagne, il ne pleut que sur les cons… Le vent et la pluie méchamment associés nous promettent une belle journée. Nous ne serons pas déçus.

Au large, nous sommes immédiatement secoués par les vagues, les bateaux gitent fort et chacun s’agrippe comme il peut. Un vent intrusif traverse nos vêtements et nous glace les os. Certains d’entre nous, d’habitude insensibles à ce type de désagrément, connaissent pour la première fois les affres du mal de mer. Nous mettons le cap sur Paimpol. Pour faire durer le plaisir, il faut soit mouiller à Gwin Zegal, soit naviguer pour attendre l’ouverture de l’écluse du bassin à flot. Nous profitons donc pleinement des paquets de mer.

Nous entrons tard dans le port, tout est fermé, Paimpol est une ville morte. On est loin de la chaude ambiance de la fête des chants de marin qui anime la cité tous les deux ans. Nous trouvons le clocher mais pas la falaise, elle n’existe que dans la célèbre rengaine de Théodore Botrel. Les deux « Compagnonnes du Paillard d’Avant » de « Karen », en quête d’aventures marines inédites, partent à la découverte des bistrots du port. D’aucuns prétendent que le retour à bord fut joyeux et fort tardif. Mais cette chaude aventure n’a pas réchauffé l’atmosphère, il fait toujours aussi froid.

J’adore la plaisance…

Dimanche 12 mai

Non, ce dimanche ne sera pas un jour de repos. Les conditions sont franchement hivernales et dès la sortie du Jaudy, nous retrouvons une mer toujours aussi agitée, un vent toujours aussi glacial et une gite qui rend tout déplacement à bord plutôt périlleux. Après quelques heures de « shaker », épuisés et transis, nous faisons cap sur le nouveau port de Tréguier, niché très en amont sur le Jaudy. Nous remontons le fleuve côtier jusqu’à la capitale du Trégor, enfin à l’abri de la houle et du vent. C’est un havre de paix, seul le froid hivernal continue à nous martyriser.

L’équipage exclusivement masculin de « Jimlin » rassemble des ressources aussi variées qu’inattendues, parmi lesquelles un enquêteur professionnel, mais si ! Bien que tout soit fermé ce week-end d’hiver, au terme d’une enquête magistrale, ce fin limier parvient à dénicher le code d’accès aux toilettes, au grand soulagement de tous. Une douche chaude et tout le monde se remet d’une traversée vivifiante, jusque-là réservée aux terre-neuvas.

Tréguier est écrasée par son énorme cathédrale, disproportionnée dans ce petit bourg. Nous profitons d’une interruption du crachin breton pour parcourir les étroites ruelles bien pentues, bordées de jolies maisons à colombages.

Ce soir, c’est l’équipage de « Karen » qui invite les autres au premier apéritif, les bonnes habitudes perdurent. Soirée fort sympathique, rhum arrangé et kouing-amann sont à l’honneur et réchauffent les cœurs, malgré un froid qui refuse de regagner une calotte glaciaire qu’il n’aurait jamais dû quitter en cette saison. Quand ce maudit vent va-t-il descendre et le thermomètre monter ?

J’adore le rhum arrangé, le kouing-amann et la plaisance…

Lundi 13 mai

Je suis frigorifié. Ce matin, je trouve mes voisins du refuge bruyants. Pourquoi empilent-ils moult épaisseurs de laine polaire avant de sortir chausser leurs skis ? Je me réveille en sursaut et je dois me rendre à l’évidence, je ne suis pas au refuge Vallot, là-haut sur la montagne, mais bien sur les côtes de Bretagne. Une fois bien éveillé, il me semble que la mer est calme et que le vent a faibli. Que nenni, nous sommes à l’abri au fond d’un profond estuaire, ce calme ne saurait durer.

Dès que nous gagnons la pleine mer, nous retrouvons les conditions idylliques des jours précédents : secousses, gite, vent, un peu de pluie et beaucoup de froid. Cap sur Perros-Guirec.

Si les horaires des trains sont contraignants, ceux d’ouverture des écluses n’ont rien à leur envier. Obligation de partir tôt avec la marée pour descendre la rivière, puis attente de l’heure d’ouverture de l’écluse du bassin à flot de Perros-Guirec. Il nous faut donc traîner par ce temps, un comble ! L’organisateur de la croisière, grand amateur de calculs savants, maîtrise avec délices ces problèmes d’horaire et de robinet. Il s’ensuit donc un mouillage à Port-Blanc pour déjeuner certes au calme, mais au beau milieu d’un champ de cailloux où aucun marin digne de ce nom n’oserait s’aventurer de nuit.

L’heure fatidique arrivée, l’écluse de Perros-Guirec ouvre ses portes et nous gagnons le quai d’accueil, c’est-à-dire les « catways » les plus éloignées de la terre ferme, qu’on atteint après avoir parcouru un long dédale de pontons successifs. Nous sommes amarrés à côté d’un voilier qui a démâté ce jour au cours d’une régate mouvementée et jeté là, toujours voilé, par la vedette de sauvetage. Quel accueil rassurant !

Tous se précipitent sur la « cacapipitainerie », devinez pourquoi ? Bien qu’elle soit ultra-moderne et sûrement conforme aux dernières normes, nous sommes vite déçus. L’eau des douches est glaciale. Les non-initiés découvrent avec stupeur que le brutal jet d’eau froide arrose inexorablement les vêtements accrochés à l’unique patère et remplit les chaussures imprudemment garées là. Visiblement, ces douches ne sont prévues que pour le « string-tong » d’été. L’éclairage des locaux est à la pointe de la technologie, jolie trouvaille ! L’allumage est commandé par des détecteurs de mouvement insuffisamment temporisés, qui plongent rapidement les locaux dans une obscurité aussitôt saluée par un flot d’injures appropriées. En conséquence, toutes les vingt secondes, nous devons danser dans l’obscurité sur des rythmes endiablés pour réenclencher l’éclairage, on fréquente les night-clubs qu’on peut ! Ce lundi, nous constatons que la météo affichée à l’extérieur est celle de l’avant-veille. De surcroît, mal bien français, la connexion Wi-Fi hyper protégée n’est disponible qu’aux rares heures d’ouverture des bureaux du port. Nous nous souviendrons longtemps de l’accueillante capitainerie de Perros-Guirec.

On nous annonce une dégradation des conditions météorologiques pour demain. Comment est-ce possible vu le froid qu’il fait déjà ? Maintenant nous en sommes sûrs, la température ressentie est bien inférieure à celle affichée çà et là par les bulletins météo. Brr… Brr…

J’adore la plaisance…

Mardi 14 mai

Prudence oblige, la flottille APC restera au port ce mardi en raison d’un avis de grand frais. L’étape de Trébeurden est supprimée et personne ne semble le regretter. Nous en profitons pour visiter le bourg de Perros-Guirec, perché en haut d’une colline qui offre une vue magnifique sur les environs, avec les Sept Iles en toile de fond. Dommage que le soleil ne soit pas au rendez-vous !

Ce soir, c’est l’équipage de « Jimlin » qui reçoit. Les garçons se sont surpassés. Avec le temps, pas question de profiter du cockpit comme terrasse, tout le monde s’entasse dans l’accueillant carré du voilier. Les avis de coup de vent ont subitement disparu. La météo prévoit une amélioration. Mais en attendant, qu’il fait froid !

J’adore la plaisance sous climat tempéré…

Mercredi 15 mai

Dès l’ouverture de l’écluse, la flottille quitte le port et gagne le large en direction des Sept Iles. Nous doublons la pointe du Château et laissons sur tribord les dangereux Couillons de Tomé. La mer est plus calme que les jours précédents, mais la température polaire persiste. Heureusement, la pluie a disparu et le soleil est enfin de la partie.

Nous approchons l’île Rouzic, sanctuaire des fous de Bassan. Leur population d’une densité inouïe donne cette couleur blanche si caractéristique à la face au vent de l’île. Puis nous longeons l’archipel en faisant route vers l’île aux Moines. Nous mouillons pour déjeuner bien à l’abri, dans la petite crique au pied du phare. Les trois voiliers se trouvent ainsi réunis avant de repartir vers la côte et le Coz-Pors de Trégastel. Nous mouillons au beau milieu d’un chaos de rochers roses, dominés par le célèbre Dé. « Karen » grée son annexe et envoie ses femmes à terre. Y-aurait-il en-haut de la plage des ressources insoupçonnées ?

Nous filons ensuite vers la magnifique anse de Ploumanac’h pour y passer la nuit. Nous remontons le chenal en suivant au plus près le balisage. Nous passons devant l’original château de Costaeres et les appareils de photo crépitent. A l’heure de notre passage, la hauteur d’eau sur le seuil est de 2,70 mètres et nous entrons lentement dans le splendide bassin. Nous nous amarrons en ligne sur les bouées d’accueil. Le plan d’eau est un véritable miroir, aucun bruit, pas de vent, le rêve… Mais ce foutu thermomètre ne remonte toujours pas !

J’adore la plaisance…

Jeudi 16 mai

Longue étape aujourd’hui. Nous quittons les rochers roses pour rejoindre Lézardrieux, après avoir doublé le sillon de Talbert, digue naturelle atypique de plus de trois kilomètres de long, balisée au nord par le phare de Héaux-de-Bréhat.

« Jimlin » et « Karen » font escale devant l’île de Bréhat, au mouillage du Rosedo, histoire d’attendre l’heure propice où la marée les poussera jusqu’à Lézardrieux. « Orphée » embouque sans attendre la rivière du Trieux, double l’île-à-Bois et remonte jusqu’à Lézardrieux en longeant les nombreuses fermes aquatiques. Le flux continue de remplir la rivière qui s’élargit au fil des heures. Quel plaisir de voir nos deux compagnons de route, « Jimlin » et « Karen » arriver sous voiles.

Entretemps, le fabuleux « Pen-Duick », premier de l’illustre série, est venu s’amarrer à l'extrémité de notre ponton. Demain, il fera route comme nous vers Saint-Quay-Portrieux où il rejoindra l’escadre des nombreux « Pen-Duick » de légende survivants.

Lézardrieux est un tout petit port comparé aux autres. La capitainerie demeure ouverte malgré l’heure tardive, les douches chaudes sont particulièrement appréciées. Ce soir, c’est « Orphée » qui reçoit. Dur, dur, d’être le dernier à organiser l’apéritif inter-bord. Mais l’équipage saura relever le défi. Ouf, nous revenons de loin ! Sinon, sous la légitime pression des équipages, il aurait fallu changer de président et de secrétaire générale.

Pour demain, la météo n’est pas trop mauvaise, certes il y aura du vent pour naviguer à la voile, mais côté température, c’est toujours l’hiver, le printemps est vraiment en retard, arrivera-t-il avant l’été ?

J’adore la plaisance…

Vendredi 17 mai

Dernier jour, il fait enfin un temps idéal pour naviguer. Réveil aux aurores, p… de marée ! Mal réveillé, l’équipage d’« Orphée » réalise une manœuvre de port d’anthologie. Par bonheur, les spectateurs sont rares à cette heure. « Orphée » descend le Trieux au moteur, « Jimlin » et « Karen » louvoient à plaisir dans les eaux calmes de la rivière.

Nous passons entre l’île de Bréhat et le continent en tirant des bords dans le chenal de l’Arcouest, puis nous filons vers Saint-Quay-Portrieux. Si le soleil est bien là, le vent est toujours aussi glacial.

C’est fini, nos bateaux sont à quai. Nous avons la chance de voir défiler devant nous l’escadre des « Pen-Duick » qui entrent au port et s’amarrent au quai d’honneur. Quel beau spectacle !

Puis c’est le bal des sacs jetés à terre, les convois de brouette vers le coffre des voitures, les embrassades en attendant de se revoir. Maintenant que la croisière est finie, le soleil est là et le vent se calme enfin. Ça réchauffe !

J’adore la plaisance…

De retour à quai...

Certes il a fait froid, mais nous avons eu du vent, nous avons pu naviguer sous voile, n’est-ce pas ce que nous recherchions d’abord. Les équipages sont restés soudés et les plus sensibles se sont vite amarinés. La plupart du temps, les moteurs ont su se faire oublier. Pour couronner le tout, nous avons navigué dans un décor de rêve, à revoir sous un vrai climat breton, mais vraiment printanier.

J’adore la plaisance…

Au fait, la prochaine grande croisière aura lieu en été et en mer Egée, raison de plus pour adorer la plaisance…